Mini mission solstice printemps 2023

Avec Martine et Michel, nous avons passé deux nuit au Pic avec le nouveau T50, le 23 et 24 juin 2023.

Nous avons eu de la chance, après une longue période de mauvais temps, la météo a été clémente avec deux nuits d'observation

Pour commencer, débrouillage du matériel et des observateurs... sur la Lune

Poses de 10 ms avec le filtre vert (gaia), caméra en bin 1. Douze meilleures poses retenues, empilées et traitées (ondelettes) avec le logiciel Astrosurface

En début de nuit, les deux nuit donc à environ 24 h d'intervalle, on a pointé deux planètes naines, Haumea et Makemake.

Les gifs animés montrent bien leur déplacement apparent en 24h.

Haumea. Dans le bouvier à 50 UA, la porte à côté ! Mag 17.4
4 poses de 2 min, en bin 2, pour chaque nuit. Crop à 100% et image réduite à 1000 picel de large pour le forum



Sa position dans le système solaire :




Makemake. Dans la chevelure de Bérénice, plus loin encore à 53 UA !! Mag 17.2
Idem, 4 poses de 2 min, en bin 2, pour chaque nuit. Crop et réduction de taille comme précédemment.

Une cible d'opportunité, la supernova 2023isx, l'occasion de plonger la tête dans la belle galaxie du moulinet M101

Les infos sur la supernovae: https://www.rochesterastronomy.org/sn2023/sn2023ixf.html

Pour l'image,

Luminance 5x30sec sans filtre + 5x30sec avec filtre G gaia
Couleur 2x5x30sec avec filtre R et B (V synthétique)
Beau ciel avec la Lune présente, seeing 1.8 arcsec
Flats sur le ciel.
Traitement prism et pixinsight, image cropée, a 100% puis réduite à 1000 pixel pour le forum




L'image plein format : http://www.astrosurf.com/uploads/monthly_2023_10/6522bc8b86052_M101_supernovae2023ixf.jpg.73fe247f94d623235362be55b6afe868.jpg

En début de deuxième nuit, sur les premières poses de pointage on a eu un givrage du hublot de la caméra. On venait de la descendre à -20°C. Ca se manifeste par un voile sur l'image, et des pétouilles :



On était sur M64, la galaxie de l'oeil au beurre noir, pas loin de notre première cible de la nuit, Makemake.

Pour dégivrer la caméra, on a remonté doucement sa température à -10°C, activé le chauffage du hublot (option à cocher dans le panneau de caméra du logiciel de pilotage Prism) et lancé des poses courtes pour faire fonctionner l'électronique. Au bout de quelques poses de 30 sec, le givrage était résolu, les petouilles avaient disparues... et on avait quelques poses sur le beuure noir !

Après traitement, ça se laisse regarder :



Caméra en bin 2 (0.68"/px), 5x30 sec (crop à 100%)

Pour info, j'ai obtenu un spectre de cette galaxie avec mon petit Newton 200 en ville, l'observation est intéressante je pense :
http://www.astrosurf.com/topic/164201-spectre-de-loeil-au-beurre-noir/

Une des cibles prioritaires de la mission était une variable visée par Martine.

AM Her est la prototype des étoiles "polars", une classe de variables cataclysmiques dans lesquelles le champ magnétique de la primaire (naine blanche) domine complètement le flux d'accrétion aspiré à partir de l'étoile naine rouge secondaire. Le champ magnétique est si puissant qu'il empêche la formation d'un disque d'accrétion et verrouille les deux étoiles de manière à ce qu'elles présentent toujours la même face l'une à l'autre.


(source wikipedia)

Il résulte de ce système bizarre une variabilité avec des changements à long terme, caractérisés par un état actif dans lequel la luminosité fluctue autour de la magnitude 13, et l'autre inactif avec une magnitude d'environ 15. L'autre variabilité s'exprime à court terme et s'explique par le mouvement orbital d'un système binaire avec une période de 3,1 heures.

Donc, une étoile bizarre avec une courbe de lumière bizarre - ça serait intéressant d'y jeter un oeil au spectro A défaut de spectro, on l'a observé en photométrie avec le T50 du Pic.

La première nuit d'observation, le minimum de luminosité était prédit à 23:17 TU. On a commencé l'observation 1 h avant, mais Prism a planté peu après le minimum.. on a donc répété l'observation le lendemain, avec succès ce coup ci.

L'image du champ (croppé, réduite à 1000 pixels pour le forum) avec 200x30 sec de pose empilée :




L'image plein format : http://www.astrosurf.com/uploads/monthly_2023_10/AMHer_abe_level_annot.jpg.4fd6a796bfbe9c7d73a51c2535c80d92.jpg

La caméra ASI6200mm était en bin 2  (0.68"/px)

Les étoiles de référence aavso :



A la moulinette photométrique (dans astroimageJ) on obtient cette courbe de lumière :



Elle est en phase active, et on a une variabilité rapide bien bordélique

Martine a analysé les images avec son soft favori et a soumis la courbe à l'aavso.

Belle ambience, 0.68 en bin 2, ca l'air très sympa.

En début de nuit, après un test de mise au point automatique, on a pointé l'étoile du berger
un phare (mag -4 !) avec son croissant illuminé à 37%
1 pose unique de 5 ms
image croppée montrée à 100%

Il a l'air de bien fonctionner ce T50 !

M101 avec aussi peu de temps de pose, superbe!

Et sympa ces animation pour les planete naine !

Merci pour ce CR du pic !

Pour finir d'exploiter l'image de la supernova dans M101, la photométrie :

La localisation de la SN :



La mesure de la magnitude sans filtre, dans AstroimageJ, avec les étoiles de référence de l'Aavso



La mesure de la magnitude B :



La mesure de la magnitude R :



Les étoiles de comparaison B et R ont été choisies sur l'image de référence sur le site https://www.rochesterastronomy.org/snimages/ )

On voit que la sn a plus de flux dans le R que le B, c'est surprenant mais pas déconnant quand on regarde le spectre qui a ce stade de l'évolution de l'explosion montre un rougissement du continuum et surtout une énorme raie en émission H-alpha. Allez voir la superbe animation de Robin Leadbeater de l'évolution du spectre ici : https://britastro.org/observations/observation.php?id=20230723_172610_bf9ec183a85f2b58

Une cible test de la mini mission était un quasar particulièrement lointain, et faible.

Le quasar SDSS J1148+5251 montre un décalage spectral de z=6.4 !

C'est extraordinaire comme objet. Réalisez un peu : Sa lumière a été émise alors que l'univers n'avait que 860 millions d'années après le big bang. Sa lumière a voyagé pendant 12.9 milliards d'années... Il faut qu'il soit extraordinairement lumineux pour qu'on puisse le voir d'aussi loin/longtemps...

Avec son redshift du à l'expansion de l'Univers, la longueur d'onde de la lumière ultraviolette (1216 A) de la raie Lyman alpha émise par le quasar est décalée jusque dans l'infrarouge, à 9000 A . L'article de la découverte de cet objet extraordinaire est là:
https://iopscience.iop.org/article/10.1086/368246/fulltext/


Ce redshift le rend assez intéressant, et délicat, à observer. Il n’émet pas du tout de photons en deçà de 9000 A, donc il faut une caméra sensible dans l'infrarouge proche. La caméra 6200MM a un rendement quantique d'environ 10% à 9000 A, donc 90% des photons du quasar vont s'écraser comme des crottes sur le capteur sans allumer les pixels Même avec une magnitude dans la bande J de 18.2, et même avec la surface collectrice du T50, c'est chaud, très chaud, et c'est donc un test intéressant pour le T50

On a enregistré 19 images avec des poses de 120 sec, pendant la deuxième nuit. Le seeing était médiocre, >2" et la MAP n'était pas au top non plus.

Résultat, sans surprise et sans appel, le quasar n'est pas détecté.

Crop de l'image sortie de l'empilement, avec la localisation astrométrique du quasar :



L'image alignée dans Aladin avec la localisation catalogue du quasar :

C'est intéressant de regarder la profondeur de détection, avec l'outil d'analyse de photométrie dans Prism par exemple :

Un crop dans la zone du quasar en fausse couleurs, avec la position et la mag des étoiles dans le catalogue



Le graphe du nombre d'étoiles détectées en fonction de leur magnitude catalogue :



Le graphe du rapport signal/bruit de détection des étoiles en fonction de leur magnitude :





On voit qu'on détecte clairement (avec un S/B de 10) des objets de mag d'environ 21.5
Avec un temps de pose cumulé modeste et des conditions pas top (seeing, lune..) c'est pas mal quand même.
Pour se donner une idée, mag 21.5 c'est environ 1 500 000 fois plus faible qu'une étoile de mag 6 !
(= 2.5^(21.5-6) )

C'est surtout la non sensibilité de la caméra dans le proche IR la limitation qui fait qu'on ne détecte pas notre cible à mag(J) 18.2

Par contre, on détecte un autre quasar dans le champ, beaucoup plus proche à z 3 et quelques, avec son spectre largement moins redshifté, il est à mag V 20.7

Un autre champ profond que nous avons visé en guise de test du T50 était l'amas de galaxies Abell 2218.

C'est un amas fameux de part ses arcs gravitationnels

La masse courbe l’espace temps et dévie la lumière, ce qui peut former une lentille gravitationnelle.
Une telle lentille cosmologique produit des images de formes différentes en fonction de la forme de la masse qui forme la lentille, comme un anneau ou une croix d'Einstein. Si la lentille est formée par un amas de galaxies, comme dans le cas d' Abell 2218, des arcs en forme de banane sont formés.


(source https://esahubble.org/images/heic0404b/)

Ce phénomène est rarement observé par les amateurs, car il faut de la résolution, et de la détectivité. Un bon test pour le T50 sous le ciel du Pic !


On a enregistré sur les deux nuit 40x2 min de pose en luminance, et quelques poses en R et B pour injecter un peu de couleur. La caméra ASI6200mm était en bin 2 pour obtenir un échantillonage de 0.68"/px en accord avec le seeing (environ 1.8" sur les 2 nuits) et des images de taille raisonnable.


ChristianD, un spécialiste du ciel profond en haute résolution, m'a donné un coup de main pour traiter l'image L avec ses "vieux outils" (je le cite !)




Difficile de passer après un maitre du traitement   mais j'ai tenté un traitement L-RB avec un outil "moderne" (Pixinsight, en drizzle) . Image réduite à 1200 pixels pour le forum :





L'image plein format : http://www.astrosurf.com/uploads/monthly_2023_08/L-RB_versionjpfull.jpg.55fe3c44ca22f7705b9d4b8ce0275170.jpg

Un crop à 100% (drizzled) sur l'amas Abell 2218 et les arcs :

Je pense qu'on détecte sans ambiguïté les arcs gravitationnels les plus brillants
On voit des images multiples en forme de bananes de galaxies très lointaines derrière l'amas A2218 au premier plan (même si ce dernier est à z 0.76 soit 2 milliards d'années lumière !).

Ces arcs avaient été découvert en 1987 sur des images au 3.5 m du Calar Alto et avaient attiré beaucoup d'attention des astronomes. Chose amusante pour notre image, des images de ces arcs avaient été prises par des pros au T2 m TBL du Pic  !

(https://articles.adsabs.harvard.edu/pdf/1992A%26A...266....6P )

Voici la comparaison avec notre image (planche par ChristianD)




Le télescope Hubble dans l'espace a bien sur lorgné le coin (https://iopscience.iop.org/article/10.1086/177995/pdf) .

.. même pas peur, voyons voir la comparaison :




Les arcs 289 et 384 et 359 sont bien détectés. Peut êtres quelques autres plus faibles (323.. 730 ?)


Vive le Pic, bon ciel,

Jean-Philippe

Certaine photos en pleine résolution ne sont pas simples à voir sur un écran standard.

Mais on vois bien les bananes ! Bravo!

Dommage pour le Quasar.

existe-t-il des cameras, relativement abordables, avec plus de sensibilité dans l'IR ?
Plus de temps de pose aurait-il permis de le détecter ?

Oui Fred tu as raison, j'ai réduit la taille des images.

Le quasar, c'était un test, le résultat était un peu attendu à vrai dire. En posant longtemps+++ on devrait arriver à le détecter, mais au détriment d'autres cibles.

Pour aller le chercher c'est plus rigolo d'utiliser un capteur ++ sensible dans le proche IR, comme l'IMX462 . Jean-Luc à travaillé à faire un système de refroidissement Peltier à partir d'une Asi 462MC d'occasion, je vais tester ça sur le ciel Il y a aussi le capteur 585MC dans la nouvelle caméra URANUS-C PRo Refroidie chez Player one.

Sinon, il y a le JWTS ... mais il y a peut être un peu de temps d'attente pour avoir un créneau ! ;-)

Une mini mission avec de maxi résultats
bravo
et merci pour les infos techniques