Redshift du quasar APM 08279+5255 depuis le Pic

Bonjour !

L'objectif premier de la mission "clafoutis de photons" au Pic du Midi ce Noel était de mettre en évidence le décalage vers le rouge (redshift) d'un quasar. Nous avons donc pointé cet objet superlatif, le quasar ultralumineux APM 08279+5255, dans le Lynx.



Il est facile à repérer sur l'image RGB, avec sa belle couleur rouge tomate (rmag=15.2). Il a d'ailleurs été découvert en 1998 lors d'études automatisée de recherche d'étoiles carbonées. Il ne paye pas de mine comme ça, mais c'est un des objets les plus distants et lumineux qu'on connaisse, en tout cas qui soit accessible aux amateurs !

Après avoir pointé le quasar, démonté la Sbig, monté la petite CCD 314 équipée du spectro star analyser, vérifié le champ, l'orientation du spectre etc..



La map n'est pas toptop, la collim non plus, en fait les conditions étaient carrément dantesques avec du vent à 50 km/h qui tapait sur le tube, on a du écourter ! On y a même laissé un clavier de PC
Et bien pourtant, avec ces 27x60sec d'images seulement, l’essentiel est bien là ; on peut "voir" que le quasar n'est pas une étoile, et même mesurer son monstrueux décalage vers le rouge :



Ce spectre indique qu'on regarde un objet extrêmement distant. La raie spectrale Lyman-alpha de l’hydrogène, au repos (c'est à dire sans mouvement) est émise/absorbée dans l'ultraviolet lointain (1216 Amstrong). Mais ici, suite à l'expansion de l'univers pendant les 12 milliards d'années qu'à mis la lumière du quasar à rejoindre le Pic du Midi (sans rencontrer un cirrus à l'arrivée !), la lumière du quasar a subit un lent décalage vers le rouge, comme le son de l'ambulance qui s'éloigne, au point d’apparaître dans la lumière visible, verte, à 5890 A. Un redshift similaire a eu lieu pour les raies d’émission de l'azote (N) V et du carbone IV  (1241 et 1549 décalées à 6045 et 7580).

On peut mesurer ici le fameux Z cosmologique, avec Z = (Lobservé-Lrepos)/Lrepos=3.86+/-0.02 . C'est raisonnablement proche de ce que mesurent les pros, à 3.87      

z=3.87 correspond  à 23.6 milliards d'années lumières de distance (en co-mouvement) (7.2 Gpc), ou encore 12.05 milliards d’années lumières de temps de voyage de la lumière. Les confins de l'univers.

La foret de raies devant la raie Lyman-alpha pourrait correspondre aux multiples absorption des photons L-alpha par les objets cosmologiques dans la ligne de visée du quasar (comprenant ceux qui prodiguent l'effet de lentille gravitationnelle) et ceci à des z (décalages/distances) variés, d'ou la foret..!

Pour résumer, ce qu'on regarde ici c'est un monstre de quasar ultralumineux, et l’expansion de l'univers !

Très belle explication ! Ça rend les courbes bien plus sympa a regarder quand on nous les raconte comme ça ! :-)

Par contre, avec un tel red shift, comment peut on encore se rendre compte que c'est effectivement du red shift et pas une étoile avec des raies bizarres ? Y a t-il une séquence de raies particulière et reconnaissable qui serve de référence pour reconnaître un quasar ?

Bonjour et bravo pour ce résultat,
...Edwin Hubble d'Urania 31 et son équipe!
Amitiés,
Michel.

C'est énorme !

Bravo à pour ce boulot et cette explication. Voilà quelque chose qui pourrait être publié dans ciel t espace et astronomie magasine non?

Oui, je pense aussi.

Mais aussi un poster synthétisant cette Mission au Pic, qu'on peut qualifier désormais d'HISTORIQUE. Et cela, malgré ce porte oculaire exécrable, sans parler du miroir qui s'appelle "pas-touche ou je fais un malheur"...

oui tu as raison Vincent, vivement que le club achète le 1 mètre au Pic du midi ;-)

Pas à vendre le 1 m, il est toujours utilisé par les pros

Tout à fait d'accord que ça serait intéressant de faire un poster pour les animation, à l'instar des photos de Siegfried. Par contre franchement je ne pense pas que ça vaille publication dans les revues comme C&E. Comme les transit d'exoplanète, c'est aride (pour ne pas dire imbitable !) et le test c'est de comparer "l'audience" de ce type de résultat comparé à la millionième image d'un Messier ou NGC classique ; allez voir sur les fora ce qui attire les foules, et vous aurez remarqué qu'on ne voit jamais de spectres dans les revues, pourtant on a des astrams French au top mondial dans ce domaine Siegfried abondera dans ce sens, ce genre de courbes, ça laisse de marbre la majorité, et c'est bien compréhensible. Enfin, honnêtement, ce spectre est franchement pourri et bruité, on paye cash le vent et le faible temps d'acquisition, et je n'ai pas pu enregistrer correctement une étoile de référence (donc pas moyen simple de calibrer la réponse instrumentale)... J'ai sué pour sortir les tripes des spectres bruts qu'on a ramené, croyez moi. Je ferais un petit topo avec le spectre du quasar 3C273 que j'ai fait au 150 en ville, il est plus joli, c'est dire ! En fait, il faut qu'on remonte refaire la manip, avec un spectro à fente et plus de temps consacré à la manip ;-)

lucien a écrit:

énorme !

Pas énorme, juste un peu enveloppé !

Frédéric METZ a écrit:

avec un tel red shift, comment peut on encore se rendre compte que c'est effectivement du red shift et pas une étoile avec des raies bizarres ? Y a t-il une séquence de raies particulière et reconnaissable qui serve de référence pour reconnaître un quasar ?

Excellente question Fred    je réponds avec juste mes deux centimes    

On peut essayer de regarder ça sous l'angle historique : Le premier redshift de quasar a été mis en évidence sur 3C273 par Maarten Schmidt en 1963. Avant lui, personne ne comprenait le spectre de cette "étoile" qui est aussi une source radio. Il ne ressemblait absolument pas à celui d'une autre étoile, et surtout, les raies d’émission dans le spectre de 3C273 ne collaient avec aucun élément chimique connu sur Terre. Schmidt a compris que les raies observées dans le spectre de 3C273 étaient en fait, tout simplement, celles de l'hydrogène mais ... décalées vers le rouge! Un tel redshift ne pouvait avoir lieu que si c'était un objet très distant, à quelques 3 Milliards d'années lumière, une source largement extra-galactique. La publication de cette découverte a révolutionné l'astronomie, et est devenu un grand classique : http://www.nature.com/physics/looking-back/schmidt/index.html Le coeur de l'article vaut son pesant de cahouette : "The only explanation found for the spectrum involves a considerable red-shift. A red-shift Dl/l0 of 0.158 allows identification of four emission bands as Balmer lines"... Ca me met la chair de poule (bon je sais je suis fou)

Par la suite en observant des quasars de plus en plus distants, il a suffit de décaler de plus en plus les raies, jusqu’à voir dans le visible la raie ultime Lyman alpha de l'hydrogène, c'était facile !



Ca c'est la réponse simple, ensuite il n'y a pas que l'hydrogène reshifté qui signe un quasar, il y a aussi des raies interdites [OIII], des raies du carbone, de l'azote, du Fe hautement excités, avec des pics larges du à la rotation du disque d’accrétion autour du trou noir qui sert de moteur au quasar. Ca se complique donc, a creuser. Et garder en tête que tout n'est pas encore compris, en particulier je crois du coté des disques d'accrétion et des jets émis par les quasars

Si je comprends bien tout, on a bien des raies caractéristiques liées à certains gaz, comme l'hydrogène.

Ces raies, qu'on identifie par des séries (de Balmer ou de Lyman par exemple) donnent la signature de l'hydrogène. Une sorte d'ADN du Gaz.

Exemple pour Lyman : L alpha =121nm, Lbeta 1=102nm, L beta2= 97nm, etc

Si on retrouve des raies, avec le même écart en longueur d'onde (121-102 = 19nm, 102-97=5nm, etc), on en déduit qu'il d'agit d'hydrogène.
Et en comparant la longueur d'onde des raies à la longueur d'onde attendu, on a le red shit et donc la vitesse d'éloignement.

Bon ça, c'est la théorie.

En pratique, j'imagine que retrouver ces série dans le spectre, avec les erreurs de mesure, et tous les objets entre nous et le quasar qui viennent perturber la mesure, cela doit être un beau sac de noeud à analyser ! :-)

J'imagine qu'il doit y avoir des soft qui analysent les spectres pour y retrouver des séquences remarquable.
Tu utilise ce genre de soft ? Ou bien tu analyses "à la main" ?

Fred tu as tout compris ! Un spectre ça parle, mais ça peut être un drôle de brouhaha. Heureusement les softs aident (pour nous amateurs : Isis, VSpec, Bass), + les bouquins, et les publications.

Aurais tu quelques spectre traités pour qu'on joue avec ? Par exemple ceux des étoiles que tu avais proposé il y a quelques temps.
Ou bien pouvons nous simplement utiliser tes photos sur astrobin. Ce sera suffisant pour faire des analyses ?

Oui, bien sur j'ai plein d'images spectrales à disposition pour jouer ! Attention, il faut mieux éviter d'utiliser mes photos postées sur astrobin car ce sont simplement des illustrations, non linéaires, donc non exploitables pour faire des mesures. Je peux te passer par exemple les images d'un autre quasar, 3C273, avec une étoile de référence (Denebola) Mieux encore, on peut faire un petit atelier traitement & analyse spectro, pour regarder ça ensemble, avec les potes qui seraient intéressés ?

Oui, très bonne idée cet atelier !
Je suis partant.

bonjour,
très bonne idée! un atelier sur les spectres...je suis pour
Amitiés,
Michel.

Super, on est au moins trois, ca fait déjà un groupe
Bon je termine de traiter toute les images de la mission, termine le rapport, un compte rendu devant le club... ouf ! Ensuite on se fait une soirée introduction et traitement spectro  

Excellent exposé, comme d'habitude avec Jean-Phi, c'est pédagogique !
Partant également pour l'atelier (à condition que je trouve un créneau).

Tiens moi au courant pour notre "atelier" compte rendu

Super, on est déjà 4 spectros donc !
Christophe, on voit ça samedi pour le compte rendu

Et non nous serons 5 car je suis également intéressé.

Cool, cinq spectros !